L’étrange construction se dresse devant nous, tel un temple Maya. Nous échangeons un regard mi-impressionné mi-incrédule avec Antoine, notre hôte : « Pu**** mais c’est complètement dingue comme endroit ! ». Je verrouille la voiture et nous entamons la montée des marches sous un ciel particulièrement ensoleillé pour un mois de janvier. Nous passons à côté d’une amphore décorée de symboles mystiques et nous dirigeons vers une porte entrouverte sur une immense salle sombre. Alors que nous nous apprêtons à entrer, je jette un regard derrière nous. Le paysage est juste incroyable : les vignes, les petites maisons du village voisin et derrière, comme un géant bienveillant qui nous rappelle que nous sommes bien en France : le Mont Ventoux.
C’est notre premier jour en Drôme-Provençale. [Flash-back : ON] Après plus de 12 heures de route depuis notre petite Belgique, nous avons débarqué la veille au soir dans ce petit coin de France à nul autre pareille. Et dès notre arrivée, l’atmosphère atypique du lieu nous a envoutés…
Voyage 1 : retour dans les années 80
« Depuis que je vis ici, j’ai perdu la notion du temps », nous a confié Antoine, notre hôte, sur l’invitation duquel nous sommes ici. Auparavant professeur au conservatoire de Lyon, il a tout vendu, appartement et possessions, pour venir s’installer dans la maison de Claudie et travailler à leur projet musical. Claudie, vous la connaissez peut-être… En 1986, elle chantait, sous le pseudonyme de Desireless, le fameux titre « Voyage, voyage » que tout le monde dans la francophonie (et ailleurs) peut encore fredonner de mémoire aujourd’hui. Depuis lors, elle n’a pas disparu de la scène. Au contraire. Avec Antoine, elle donne la touche finale à un nouvel album, baptisé « Noun » (entretemps sorti et à découvrir ici).
Nous logeons donc… chez une icône des années 80. Premier voyage dans le temps. Sa maison se situe dans le charmant petit village de Buis-les-Baronnies. Pour y arriver, après avoir quitté l’autoroute, il faut traverser au moins une dizaine de petits villages, tous plus pittoresques les uns que les autres. Entre eux, la route sinueuse coupe les champs couverts de pieds de vigne séchés et tordus, ponctuée régulièrement de panneaux vous invitant à faire halte pour goûter tantôt du vin, tantôt la fameuse huile d’olive de Nyon.
Sur la route déjà, cette région nous a semblé hors du temps, comme coupée de cette France qui, depuis plusieurs mois, nous déconcerte (à la radio française ces jours-là, on parlait de théorie des genres et des aventures extra-conjugales du président François Hollande. Et les échos des manifestations anti-mariage gay n’étaient pas si loin)… En arrivant en Drôme, nous avons eu le sentiment d’entrer dans une autre dimension.
Voyage 2 : vins et secrets mystiques
[Flash-back : OFF]
La première impression était la bonne : cet endroit est carrément à part. Cet espèce de temple Maya qui se dresse devant nos yeux est en fait… un temple du vin. Nous sommes au Domaine Viret (dont je vous parlais aussi dans cet article), où l’on produit le vin en suivant des principes ancestraux censés concentrer les énergies de la terre pour lui donner des saveurs exceptionnelles.
Quand on m’en a parlé pour la première fois la veille, je l’avoue, c’est plutôt l’idée de rencontrer des vignerons excentriques et mystiques qui a titillé ma curiosité. Plus tard, nos hôtes ont débouché pour nous l’une des bouteilles du domaine et c’est le goût qui est devenu la raison fondamentale de mon intérêt. Quelle richesse dans les saveurs et quelle douceur à la fois ! Et d’apprendre que ces vins sont produits de façon naturelle, sans sulfite, et se conservent pourtant longtemps, à tel point que ça en déconcerte plus d’un. Les Viret détiendraient-ils vraiment un secret ancestral bien gardé ?
Une fois sur place, alors que nous profitons d’une magnifique vue panoramique depuis le toit de l’édifice après une délectable dégustation, j’aime ignorer la voix de la rationalité et penser que oui. Sur la colline où nous nous trouvons, les Romains produisaient déjà du vin. Aujourd’hui, les Viret élèvent même certains de leurs crus dans des amphores en argile, ce qui leur donne une saveur minérale unique. Second voyage dans le temps.
Et si les Viret poussent à l’extrême la recherche d’un équilibre entre la terre et un produit, ils ne sont pas les seuls à favoriser une approche naturelle des cultures. De nombreux habitants de la région font pousser leurs propres légumes, fruits et plantes aromatiques de la façon la plus naturelle possible. Et quand la récolte est abondante, on régale les voisins !
Voyage 3 : un village oublié par le temps
Le lendemain, nous sommes réveillés par la pluie… En Belgique, rien d’anormal à cela. Ici, le ciel gris se reflète sur le visage des gens qui sont habitués à la présence quasi continuelle du soleil et de la lumière (nos hôtes nous confient d’ailleurs qu’ils ont pris le petit-déjeuner sur la terrasse le premier jour de l’an !).
Malgré le temps, pas question de rester à l’abri, nous n’avons que 2 jours complets sur place ! Ce matin, nous voulons visiter un de ces charmants villages perchés de la région et nos hôtes nous ont recommandé de faire route vers le Crestet, situé dans le Vaucluse. Une vingtaine de minutes plus tard, nous voici sur une route sinueuse qui monte, monte, monte à n’en plus finir. Nous laissons finalement la voiture sur un parking pour les visiteurs (les places dans le village sont rares) et gravissons des escaliers vers les premières maisons qui se trouvent à 300 mètres d’altitude.
A cause/Grâce à la pluie, les rues sont désertes et le village semble quasi-abandonné, oublié par le monde et le temps. Mais le ciel le plus maussade du monde ne pourrait rien retirer à la beauté des lieux. Nous sommes projetés dans le temps, plusieurs siècles en arrière. Troisième voyage. Une adorable fontaine se dresse au centre du village, entourée d’escaliers surmontés d’arches et de voûtes cachées par des grilles de fer forgé. Plus loin, du lierre couvre un mur de pierres qui semble là depuis toujours. A deux pas, par-dessus les fortifications, on découvre une vue incroyable qui s’étend à des kilomètres à la ronde. Le Mont Ventoux nous surveille encore, on aperçoit aussi les fameuses Dentelles de Montmirail… Splendeur, silence et quiétude. Le temps s’arrête pour quelques instants avant que la pluie ne nous force à partir.
Voyage 4 : à la découverte du Palais des Papes
Pour clôturer notre séjour en beauté, Antoine nous propose de visiter un monument incontournable de la région : le fameux Palais des Papes. Edifié à partir de 1335 et terminé en moins de 20 ans, il est le plus important palais gothique de l’occident et est l’œuvre de 2 papes bâtisseurs : Benoît XII et Clément VI. 9 papes y ont résidé. Quatrième et ultime voyage.
Nous traversons les rues d’Avignon au pas de course pour nous mettre à l’abri du déluge (décidément la pluie ne nous épargnera pas !) et jetons à peine un coup d’œil rapide à l’impressionnante façade du Palais avant de nous y engouffrer.
Sur les deux heures que nous passons sur place, nous traversons une multitude de pièces et de couloirs qui nous font prendre conscience de l’immensité de cette construction (15 000 m2 soit 4 cathédrales gothiques !). Chacun des Papes qui y a résidé y a fait apporter des modifications et des ajouts. Le Palais tel qu’il existe aujourd’hui et donc bien différent de ce qu’il était à ses débuts… Des plans et des maquettes nous permettent d’imaginer son évolution.
Au cours de la visite, on réalise aussi qu’en plus du pape, c’est toute une communauté qui vivait là avec ses besoins logistiques et administratifs. On découvre les cuisines, les caves, la trésorerie…
La salle de banquet, immense, nous laisse sans voix, tout comme sa cheminée gargantuesque. Plus loin, la chambre du Cerf, cabinet de travail de Clément VI, est décorée de somptueuses fresques couvertes de scènes de chasse et de forêts luxuriantes qui nous envoûtent quelques minutes. Mais le plus impressionnant, c’est le toit, sur lequel nous montons juste à l’instant du coucher du soleil. La vue sur Avignon, que surveillent les gargouilles du Palais, est magique…
Sur la route qui nous ramène à Buis-les-Baronnies, je repense à ces deux jours qui ne m’ont finalement paru ni longs, ni courts. Plus que des kilomètres, ce sont des années qui ont défilé au fil des rencontres, des visites de lieux uniques, de villages perdus et de monuments qui témoignent d’un passé grandiose. Je repense à la phrase d’Antoine : « Depuis que je vis ici, j’ai perdu la notion du temps ». Désormais, cette phrase, je la comprends vraiment.
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