Carnets de voyage

Andalousie : la fois où on a séjourné chez les Schtroumpfs

L’Andalousie c’est Grenade, Séville, Ronda, Cordoue… Des villes mythiques dont le seul nom évoque des décors des 1001 nuits, de splendides palais et des jardins magnifiques. Mais l’Andalousie, c’est aussi une multitude de petits villages aux maisonnettes blanches dispersés dans la campagne… et un village, un seul, bleu vif. 

Edit 1/12/2017 : suite à un litige entre le village de Júzcar et la société gérant les droits des héritiers de Peyo (auteur des Schtroumpfs), le village de Júzcar a perdu le droit de s’auto-proclamer « village des Schtroumpfs » le 15/08/2017. Les maisons sont toujours peintes en bleues mais les références aux Schtroumpfs vont disparaître. Une page se tourne… L’article ci-dessous a été rédigé suite à notre séjour sur place en 2015, avant ce litige. Nous avons décidé de le laisser en ligne pour garder une trace de cette histoire étonnante !

Il aurait été dommage de passer à côté de cette facette rurale de la région lors de notre périple de 15 jours en Andalousie. Lorsqu’on nous a proposé de tester un gîte dans la Serranía de Ronda, la région montagneuse qui s’étend autour de la jolie ville de Ronda et est parsemée de pueblos blanco (villages blancs), nous avons donc sauté sur l’occasion. Mais surprise, ce n’est pas dans un icônique village blanc que nous avons posé nos valises mais bien dans un village… bleu.

Júzcar : il était un village bleu

La Serrania de Ronda : des routes tortueuses qui grimpent le long de montagnes, des paysages arides qui succèdent à des forêts verdoyantes, de multiples vestiges du temps où ces terres étaient arabes, des chemins de randonnée ou de canyoning qui font le bonheur des randonneurs… et des villages blancs.

Village blanc voisin de Pujerra
Les paysages typiques de la Serrania de Ronda

Tous ? Non ! Un village sort du lot : à Júzcar, les maisons sont… bleues. Mais attention, pas le genre de bleu qui pourrait sublimer la beauté du patelin et faire le bonheur des photographes. Non : un bleu tape à l’œil. Un bleu « schtroumpf ».

Ruelles de Júzcar
Júzcar, le village bleu…

Pour comprendre d’où vient cette coloration pour le moins surprenante, il faut remonter au mois de juin 2011.

‘Los Pitufos’

Vous vous en souvenez peut-être vaguement. En 2011, les studios Sony Pictures sortent leur film « les Schtroumpfs 3D ». Pas vraiment un chef d’oeuvre du 7ème art, mais une grosse machine commerciale. En Espagne, des responsables marketing (peut-être un peu trop créatifs) décident de marquer le coup en transformant un des emblématiques villages blancs andalous en village bleu. Les habitants de Júzcar se prêtent au jeu et participent eux-mêmes à la schtroumpfisation de leur village. En quelques coups de pinceaux, voilà leur village semblable à tant d’autres transformé.

Schtroumpf arc-en-ciel, Júzcar

Au départ, la campagne devait durer que quelques mois, après quoi le village devait être remis dans son état d’origine aux frais de Sony Pictures. Mais devant l’afflux de visiteurs désireux de visiter le village des Schtroumpfs, les habitants de Júzcar ont finalement décidé de laisser leur village en l’état. Les chiffres sont éloquents : dans le petit village, qui accueillait en moyenne 300 touristes par an, on a dénombré pas moins de 80 000 visiteurs dans les 6 mois qui ont suivi sa transformation.

Appréhensions

Kiosk d'information en forme de champignon, Júzcar

Heureusement pour notre santé cardiaque, la particularité de Júzcar ne nous a pas pris par surprise. Bien avant notre arrivée, une simple recherche sur Internet m’avait permis de découvrir en avance ce qui nous attendait. Sur Google images, les photos du village m’avaient laissée perplexe. Avec toute l’ouverture d’esprit dont je pouvais faire preuve, un seul mot me venait à l’esprit : « moche ».

Sans compter que pour des Belges comme nous, compatriotes de Peyo, le créateur des Schtroumpfs, la campagne en elle-même n’a aucun sens. Les Schtroumpfs vivent dans des champignons blancs à pois rouges ! Pas des maisons bleues !

C’est donc avec beaucoup d’appréhension que nous avons débarqué à Júzcar, sachant que nous serions obligés d’y rester minimum 3 jours puisque le bus pour Ronda n’y passe que 3 fois par semaine ! Heureusement, nous logions dans un charmant gîte rural et nous comptions bien profiter du séjour pour enfiler nos chaussures de marche et explorer la région !

Patrimoine défiguré… 

Les 2 Schtroumpfettes, Júzcar
Perplexe, moi ?

« C’est encore pire en vrai ». C’est à peu près la réflexion que nous nous sommes faite en débarquant dans ce village. Au fil de l’exploration des rues, ma perplexité ne faisait que grandir. « Pourquoi ??? » avais-je envie de crier aux habitants alors que je découvrais au détour d’une ruelle le vestige d’une fontaine de l’époque arabe, entre deux Schtroumpfs en contreplaqué.

Et si ce n’était pas suffisant, partout, les décors des Schtroumpfs semblaient déjà usés par le temps, vieillis, tristes… Ce qui ne semblait pas gêner les familles espagnoles en pélerinage au pays des « pitufos », arrivées en voiture ou en autocar.

…ou libre choix de habitants ?

Les jours suivants, nous avons enfilé nos chaussures de marche pour partir explorer la Serrania de Ronda et visiter d’autres villages, bien blancs ceux-là. Nous avons pris des photos, dégusté des tapas dans des auberges typiques et profité de la campagne et des forêts… Tout pour oublier le bleu criard de Júzcar et son ambiance de parc d’attraction bon marché.

Ruelles de Pujerra

Je les ai vus les villages blancs. J’ai aussi vite découvert qu’ils étaient tous plus ou moins semblables et qu’en voir un ou deux, c’est les voir tous. J’ai repensé à ces articles que j’avais lus avant notre voyage. L’Andalousie est la région la plus pauvre d’Espagne avec le plus haut taux de chômage. En 2014, plus d’un tiers de la population était sans emploi. La région a été durement touchée par la crise. J’ai repensé au bus public qui ne passe au village que 3 fois par semaine. A l’isolation des habitants de Júzcar… Et un déclic s’est produit dans mon esprit.

Calle Plaza Vieja, Pujerra

Quelque part sur un chemin de campagne, sous la chaleur du soleil andalou, j’ai commencé à me remettre en question.

  • Qui étais-je pour juger ces habitants qui ont saisi l’opportunité de se distinguer et d’attirer un flux régulier de touristes ?
  • Avais-je le droit, moi qui n’étais que de passage, de souhaiter de tout mon cœur que leur village réponde à mes attentes ?
  • Peut-on exiger de la part de gens qui vivent dans la pauvreté de renoncer à une source de revenu au seul nom du « patrimoine » ?

Ce soir-là, les maisons de Júzcar m’ont paru moins moches. Peut-être parce que j’ai lâché prise et cessé d’espérer que la réalité s’adapte à mes attentes… Plus tard, j’ai lu que le chômage avait disparu à Júzcar, depuis que le village avait pris la couleur bleue. De nombreux habitants ont participé aux travaux, d’autres ont ouvert des magasins de souvenirs dans leur salon ou un petit resto…

Schtroumpf aux ballons, Júzcar

Notre séjour à Júzcar n’aura pas été la plus belle étape de notre voyage mais il nous aura au moins appris une leçon : ce qui nous semble absurde au premier abord cache parfois une belle histoire. Et pour ça, je suis heureuse d’y avoir passé quelques jours. Voyager, c’est aussi ça !

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